Entre breton et cantabrique.
Les hommes du labour,
Boiteux mutants, strabiques,
Gardaient un œil, de jour,
Tourné contre l'araire.
Et leurs grands bœufs antiques,
Comme au temps de Genèse,
En éventraient, bibliques,
La matrice matière.
Quand le train des chevaux
Tirait, hochait puissant,
Le soc versait la glaise
Et animait la terre.
Lors l’autre, l’œil, veillant
Au caprice du temps.
Que percent les primevères,
Plates dorures, glas aphones...
Perles de rosée pendues
Aux rameaux d’arc-en-ciel…
Chapelets si fragiles,
Colliers de frêles bulles
Accrochées sur un fil
De l’araigne gracile....
De tout petits globules
Où la lumière circule.
Occultes sans un cil
Pour petite virgule...
Vois les regards d'enfants:
Et tout est magnifique!
Myriades d'yeux minuscules,
Où se mirent à l'envers
Des mondes microscopiques.
Elles gercent sous le vent,
Quand givrent sur les branches
Les fleurs de gelée blanche!
Les hommes de la mer,
Quand passée la tempête,
Se gardent de la joie,
Se défient de la fête.
Grimaces pour gaieté
Autant que sourires tristes,
Et les yeux délavés
Balaient le pont sinistre:
Ils contemplent le fer
Brûlé comme du bois.
Au-dessus, c'est la nuit,
Et crevant dans un rêve
Le blanc bandeau de brume,
Pâles falaises d'Albion
Sur un estran d'écume,
Luit,
Le cyclope Tropique,
Qui, de son œil unique,
Observe la courte trêve,
Réclame le talion
Depuis l’œil du typhon.
Nous autres, gens des villes,
Nous qui, de la mémoire,
Avons perdu le fil,
Egaré le tranquille
Et ce qu'il en appelle,
Sombrons sur le bonheur
D’éperdu désespoir.
Comme taureau dans l’arène
S’élançant sur un leurre.
Magnifique carène!
Tandis qu’en étincelles
La terrible machine
Des picadors en vrille
Lui mate sur l’échine
Rubans et banderilles.
Il bondit, il se cabre,
Le garrot palpitant.
Par son front impudent,
Et de ses yeux livides,
Il vomit des naseaux
Cette meute macabre,
Puis s'élance à nouveau
Pour écraser le vide.
Comme lave rougeoyante
Coulent alors les torrents
Sur la noirceur des pentes.
La barque sombre, luisante
De sa vaste carcasse,
Harponnée tant hélas!
Des trente et mille dards
Tangue, vacille, se casse.
La fourche formidable
De son éperon, en vain,
Lance un ultime estoc...
L'insaisissable essaim...
Imbéciles assassins,
La bêtise les accable!
L'étrave tel un soc
Heurte au fond de poussière:
Chaloupe contre pierre...
Echouée sur la grève,
Epave qu'on achève...
Et lorsque vient la mort,
Que sa langue vermeille,
Violette, assoiffée,
Eblouie de soleil,
Pour une fois encor
Balaie le sable fade,
Un matador tout blanc
S'avance à l'estocade
Et puis sur le côté,
De son fleuret Pilate,
Lui laboure dans le flanc
Un autre oeil, écarlate.